Le percuteur SOL.553, fouilles Veillerot (1895-1896), collections du musée du Hiéron, dépôt de la ville de Paray-le-Monial. Dimensions 25 x 10 cm. Photographie A. Rigaud.

Qu’est-ce qu’un percuteur ?

Lors des premières fouilles de Solutré entre 1866 et 1896, les chercheurs ont décrit à plusieurs reprises des objets formés de la meule et d’une partie de la perche d’un bois de renne. Henri de Ferry les décrit le premier comme des « marteaux » de l’Âge du renne. Il en fait mention dans les publications de ses recherches dans le Mâconnais, à Charbonnières puis à Solutré (Fig 1).

Aujourd’hui, les préhistoriens appellent ces objets des « percuteurs » : ils servaient au détachement d’éclats durant la taille du silex et d’autres roches dures. Deux grandes catégories de percuteurs sont utilisés par les tailleurs : les percuteurs durs, en pierre, qui permettent de produire des éclats courts et épais, et les percuteurs organiques ou tendre, en bois végétal ou bois de cervidé (matière osseuse). Ces derniers absorbent une partie de l’onde de choc produite lors de la percussion et permettent de détacher des éclats plus fins et plus allongés que ceux produits à la pierre. Ainsi, les percuteurs tendres sont indispensables au débitage en série de lames, éclats longs supports de l’outillage de pierre d’Homo sapiens, ou à la production d’objets bifaciaux aux tranchants réguliers, comme les feuilles de laurier, typiques du Solutréen (Fig. 2).

Planche n°28 de l’ouvrage posthume d’Henri de Ferry, Le Mâconnais préhistorique (1870). Dessins par Adrien Arcelin. Les objets numéro 1, 2, et 3 correspondent aux marteaux décrits par Henri de Ferry. Dessins Adrien Arcelin. Fig 1.
Le façonnage d’une feuille de laurier au percuteur tendre en bois de cervidé (dessin Henri Bidault). Fig 2.

D’où viennent ces objets ?

En 2013, un groupe de préhistoriens (A. Rigaud, J.-B. Peyrouse, B. Walter, T. Aubry, R. Desbrosse, M. Almeida) étudie une série ancienne d’objets provenant des fouilles de M. Veillerot, un antiquaire de Digoin qui réalisa en 1895-1896 des fouilles à Solutré. Ces fouilles de grande ampleur n’avaient guère de visée scientifique : réalisées pour le compte du Baron de Sarachaga afin de constituer des collections pour le musée d’art sacré du Hiéron à Paray-le-Monial, elles étaient uniquement centrées sur la collecte d’objets. Elles furent perçues comme un véritable pillage du site par les observateurs de l’époque. Dans les années 1930, la collection constituée a été partiellement vendue et dispersée entre diverses institutions et collections privées. La partie restante conservée par la municipalité de Paray-le-Monial a été déposée en 2014 au musée de Solutré.

Que nous apprennent-ils ?

Parmi ces objets, quatre percuteurs sont identifiés par les chercheurs sur la base de critères morphologiques et par l’analyse des stigmates d’utilisation. L’objet marqué « SOL 553 » (Fig. 3 et 4 reconstitution 3D ci-dessous) est un percuteur en bois de renne : sa meule (partie rattachée au crâne de l’animal) présente de nombreuses marques d’utilisation en « V » ou en accents circonflexes laissées par les percussion répétées, identiques à celles observées sur des percuteurs actuels ayant servi à tailler le silex. Ces marques sont toutes situées à l’extrémité aplanie de la meule. Cette même surface présente des traces ténues de coloration ocre, qui suggèrent que le percuteur a pu servir à écraser des colorants ou que ces colorants d’usage courant dans le quotidien des groupes préhistoriques aient été utilisés lors de la taille des roches dures…

Le percuteur SOL.553, fouilles Veillerot (1895-1896), collections du musée du Hiéron, dépôt de la ville de Paray-le-Monial. Dimensions 25 x 10 cm. Photographie A. Rigaud. Fig 3.
Détail de la partie active du percuteur SOL.553. Dans le cercle blanc : stigmates d’utilisation. Dans le cercle rouge : traces d’ocre. Cliché André Rigaud. Fig 4.

Un autre percuteur de la même série (marqué « SOL 551 », Fig. 5 et 6), est le seul percuteur en bois de cerf connu pour le Paléolithique européen. Il présente lui aussi des traces d’utilisation et zones ocrées sur le médaillon de sa meule. Pour preuve de son utilisation en tant que percuteur, un minuscule éclat de silex est encore visible, planté dans l’objet à la périphérie de la zone active…
Deux autres percuteurs conservés dans cette série (SOL.558 et SOL.562) sont en tout point comparable aux percuteurs décrits plus haut, à ceci près qu’ils ne semblent avoir jamais été utilisés. L’hypothèse la plus probable est qu’ils auraient fait partie d’une réserve de matériel déjà préparé et utilisable au besoin.
Les 4 percuteurs identifiés en 2013 proviennent tous des bois droits des animaux, qui de l’avis des tailleurs de silex actuels, majoritairement droitiers, sont ceux dont la forme « tombe » naturellement le mieux dans la main. Les droitiers étaient-ils déjà majoritaires dans la population au Paléolithique ?

Le percuteur SOL.551, fouilles Veillerot (1895-1896), collections du musée du Hiéron, dépôt de la ville de Paray-le-Monial. Dimensions : 22 x 9 cm. Photographie A. Rigaud. Fig 5.
Détail de la partie active du percuteur SOL.551. Dans les cercles blancs : stigmates d’utilisation. Dans le cercle rouge : traces d’ocre. En agrandissement l’éclat de silex planté entre les pierrures, au bord de la zone de percussion. Cliché André Rigaud. Fig 6.

Solutré et la taille du silex

Sur la vingtaine de percuteurs paléolithiques connus en Europe, 7 exemplaires proviennent du site de Solutré, soit un tiers du corpus. Malheureusement découverts lors de fouilles anciennes et insuffisamment documentées, les percuteurs de Solutré n’ont le plus souvent pas de provenance stratigraphique certaine et on ne sait guère à quelle période les attribuer à défaut de datation… Seuls 2 percuteurs sont attribués aux niveaux solutréens et présentent les stigmates en demi-lunes caractéristiques laissés par la fabrication de pièces bifaciales (des feuilles de laurier ?). L’abondance des percuteurs organiques à Solutré atteste d’une activité régulière de taille du silex sur le site. Elle est à rapprocher du nombre important de feuilles de laurier cassées en cours de façonnage ou abandonnées au stade d’ébauche dans les niveaux solutréens et souligne le caractère exceptionnelle du gisement archéologique qui illustre les activités quotidiennes techniques durant 50 000 ans d’occupation humaine, entrecoupée de longues phases d’abandon du site.


Pour aller plus loin :

Démonstration de façonnage d’une feuille de laurier par Miguel Biard (Inrap) au Musée de préhistoire et grottes de Saulges

MOOC « FAIRE PARLER LES PIERRES TAILLÉES DE LA PRÉHISTOIRE »
Information sur : https://service-comete.parisnanterre.fr/mooc-faire-parler-les-pierres-taillees-de-la-prehistoire–955771.kjsp?RH=1604931854653

Averbouh Aline, Bodu Pierre. – Fiche percuteur sur partie basilaire de bois de cervidé, in : Pathou-Mathis M. (dir.), Fiches de la Commission de nomenclature sur l’industrie osseuse de l’os préhistorique, Cah. 10, Paris, Soc. Préhist. française : pp. 117-131.
http://www.prehistoire.org/offres/file_inline_src/515/515_pj_160119_164609.pdf

De Ferry Henri. – Le Mâconnais préhistorique, Mémoire sur les âges primitifs … (ouvrage posthume avec notes additions et appendice par A. Arcelin, Mâcon : Durand, Paris : Reinwald, 1870, 136 p., 62 pl.
https://www.google.fr/books/edition/Le_M%C3%A2connais_pr%C3%A9historique/CTVTAAAAcAAJ?hl=fr&gbpv=0

De Ferry Henri. – L’Ancienneté de l’Homme dans le Mâconnais ou Note sur différents gisements d’instruments en silex aux environs de Mâcon (Saône –et-Loire), Gray (France) : Roux, 1867, 16 p., 2 pl.
https://play.google.com/books/reader?id=1WtAAAAAcAAJ&hl=da&pg=GBS.PP28

Rigaud André, Peyrouse Jean-Baptiste, Walter Bertrand, Aubry Thierry, Desbrosse René, Almeida Miguel. – Percuteurs en bois de cervidés en provenance de Solutré / Antler Strikers From Solutré. In: Le Solutréen 40 ans après Smith’66. Tours : Fédération pour l’édition de la Revue archéologique du Centre de la France, 2013. pp. 127-133. (Supplément à la Revue archéologique du centre de la France, 47)
www.persee.fr/doc/sracf_1159-7151_2013_act_47_1_1626