
Cette pointe de sagaie en bois de renne (Fig. 1) a été découverte en 1956 lors d’un sondage mené par Jean Combier et Alfred Aufranc dans le secteur N15, au Sud-Est gisement classique du Crot du Charnier (Fig. 2). Elle reposait avec d’autres vestiges dans un niveau profond d’argile rouge, au contact direct des marnes gisant sous l’éboulis glaciaire, qui contient les niveaux archéologiques de Solutré. Dans ce niveau ancien d’occupation, plusieurs objets sont typiques de la culture aurignacienne, diffusée avec les premiers hommes modernes qui peuplent l’Europe autour de 40 000 ans avant notre ère : lame épaisse à retouche écailleuse, lamelles typique retouchée alternativement sur les deux faces, nucléus pour la production de lamelles… Ce type de pointe à base fendue, en bois de renne, plus exceptionnellement en ivoire, est également caractéristique de la phase ancienne de l’Aurignacien. De tels objets avaient déjà été signalés dans les fouilles anciennes du site (Arcelin, 1890) au sud du gisement, mais c’était la première fois que la position de ce type de pièce était confirmée dans la stratigraphie du site lors d’observations modernes.

Cet objet formait la pointe d’une arme de chasse et était fixé, probablement par une ligature, à l’extrémité de la hampe en bois d’une arme de jet de type javeline ou sagaie. Celle-ci était éventuellement projetée au loin au moyen d’un propulseur, une arme de chasse amplifiant la portée et la puissance du tir (Fig. 3), dont l’usage n’est pas encore clairement établi pour cette période de la Préhistoire. Néanmoins les dimensions de la pointe, qui conditionnent l’épaisseur de la hampe de bois, suggèrent que l’arme ne pouvait être efficace qu’en bénéficiant d’une force de jet démultipliée par un propulseur.

L’utilisation des matières dures animales pour la fabrication de l’outillage est une des innovations comportementales accomplies par les premiers hommes modernes. Ces derniers établissent un nouveau rapport à l’environnement, développant l’usage de ressources animales au-delà des seuls besoins alimentaires ou vestimentaires : les Sapiens européens utilisent et retournent les armes naturelles de leurs proies animales (bois de renne, défense d’ivoire) contre elles-mêmes. D’autres innovations techniques ou symboliques inédites accompagnent ce nouveau comportement : la standardisation généralisée de l’outillage en pierre sur lames et lamelles, l’apparition de productions esthétiques et symboliques : objets de parure (comme les perles en ivoire) (Fig. 4), objets mobiles porteurs d’un décor abstrait, premières manifestation d’un art figuratif ou abstrait en grotte et en abri : la grotte Chauvet, de l’Aldène, les abris du vallon de Castelmerle…

Après les vestiges laissés par les premiers occupants Néandertaliens du site, cette simple arme de chasse relie le site de Solutré à cette grande mutation, biologique et comportementale, qui traverse l’Europe préhistorique et achève la transition vers le Paléolithique supérieur et l’ère d’Homo sapiens, le dernier type humain actuel.
Pour aller plus loin :
Démonstration de tir au propulseur :
Arcelin, Adrien (1890) — Les nouvelles fouilles de Solutré (près Mâcon, Saône-et-Loire), L’Anthropologie, t. I, p. 295 – 313. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54497646/f306.item
https://www.hominides.com/html/prehistoire/aurignacien.php
https://fr.wikipedia.org/wiki/Aurignacien
https://www.hominides.com/html/actualites/homo-sapiens-bulgarie-45000-ans-1416.php
Grotte Chauvet, Vallon-Pont-d’Arc, (Ardèche) :
https://archeologie.culture.fr/chauvet/fr
Les abris du vallon de Castelmerle, Sergeac (Dordogne) :
https://www.hominides.com/html/lieux/abri-blanchard.php
https://www.hominides.com/html/actualites/abri-castanet-art-prehistoire-37000-ans-0604.php
Lectures recommandées :
Bon, François (2020) Sapiens à l’œil nu, CNRS éditions, 2019.
https://www.hominides.com/html/references/sapiens-a-l-oeil-nu-1365.php
Condemi, Silvana, Dernières nouvelles de Sapiens, Flammarion, 2018.
https://www.hominides.com/html/references/dernieres-nouvelles-de-sapiens-1305.php