D’où vient-cet objet ?

Cette corne de bison a été découverte lors des premières fouilles menées par Henri de Ferry et Adrien Arcelin au Crot ou Clos du Charnier à Solutré, entre 1866 et 1869. Elle provient des niveaux proches de la surface, dans lesquels les chercheurs ont identifié des « foyers » « de l’âge du Renne ». Par «âge du Renne » on entend l’avant dernière période de la Préhistoire ancienne, selon la première chronologie établie par Edouard Lartet à partir de la fréquence des restes d’animaux disparus*. Le terme « foyer » renvoie quant à lui aux accumulations de vestiges découverts sous les pioches des ouvriers d’Arcelin et de Ferry, au milieu de rebuts de cuisines (ossements d’animaux) et de la terre cendreuse. Ces accumulations pourraient avoir correspondu à des habitats structurés que les inventeurs du site crurent reconnaître et dont ils donnèrent des descriptions dans les écrits relatant leurs recherches : des fosses de forme ovale, parfois entourées de murets, présentant au moins un foyer central et des accumulations importantes de bois de renne.

* Paléontologue avant de devenir l’un des pères fondateurs de la préhistoire, Edouard Lartet (1801-1871) proposa d’utiliser les restes d’animaux comme des « fossiles directeurs », indicateurs d’une valeur chronologique. La première chronologie proposée pour décrire la succession des périodes de la Préhistoire voyait ainsi se succéder les âges du Grand Ours, de l’Eléphant et du Rhinocéros, du Renne et enfin de l’Aurochs. Jugée trop imprécise pour dater les occupations préhistoriques, on lui a préféré la chronologie élaborée entre 1869 et 1872 par le préhistorien Gabriel de Mortillet (1821-1898) à partir des outils fabriqués par l’homme. C’est le système chronologique de Mortillet qui a consacré la « station » Solutré comme le site de référence d’une des « époques » de la Préhistoire européenne : le Solutréen. Ce système, qui a été depuis complété et précisé, est encore utilisé par les préhistoriens de nos jours. Ainsi, l’âge du Renne d’Edouard Lartet correspond ainsi à la phase finale du Paléolithique qui vit le développement des cultures solutréennes et magdaléniennes en Europe de l’Ouest entre – 22 000 et – 12 000 avant notre ère.

Fig 1. Cheville osseuse de bison utilisée comme percuteur. Musée de préhistoire de Solutré, numéro d’inventaire D1989.2.64 (SOL.AC.1). Collection du Musée des Ursulines, dépôt de la ville de Mâcon. Dimensions 23 x 7,1 x 6,6 cm.

Quel est cet objet ?

Cette cheville osseuse de bison ou d’aurochs, correspond à l’excroissance osseuse de l’os frontal (ou processus cornual), recouverte d’un étui de kératine (matière des sabots, des griffes et des poils) qui l’enveloppe et la prolonge. Sa surface est naturellement rugueuse et creusée de sillons longitudinaux, qui permettent l’adhésion de l’étui corné sur une plus grande surface. Elle est percée de multiples pertuis pour le passage de vaisseaux sanguins assurant la vascularisation de l’os. Ces trous sont particulièrement visibles sur la section découpée de la cheville osseuse. Bien qu’entièrement creuse, la cheville osseuse des bovinés, et en particuliers des bisons et aurochs, présente une épaisseur supérieure à 1cm lui conférant une relative solidité. La courbure marquée évoque plutôt une cheville osseuse de bison.


L’unique description connue de cette pièce est donnée sous la plume d’Henri de Ferry :
« (…) nous avons extrait d’un foyer, riche en magnifiques couteaux, deux énormes noyaux osseux de cornes de grand bœuf, peut-être d’aurochs, présentant un cas pathologique, de dureté et de compacité exceptionnelles. Ils avaient été coupés et polis à la base comme les bois de renne, et pouvaient fort bien servir de marteaux ou de pilons (…). »

La description de Ferry suggère que les 2 objets (dont un seul est conservé au Musée de Solutré) proviennent d’un niveau solutréen « riche en magnifique couteaux ». Les cornes sont attribuées possiblement à l’aurochs, sans certitude. Les inventaires du Musée des Ursulines, dont proviennent les collections déposées au Musée de Solutré depuis 1987, décrivent une corne de bison. Cette attribution a-t-elle été révisée par Adrien Arcelin, devenu à partir de 1878 conservateur des collections ? La distinction des restes osseux des genres Bos (les aurochs et les bovins actuels, descendants du premier) et Bison (dont Bison priscus, le bison des steppes qui vivait durant le dernier glaciaire) reste aujourd’hui un point particulièrement difficile pour les paléontologues et les archéozoologues**, tant ils se ressemblent.

** Archéozoologue : spécialiste de l’étude des restes d’animaux en contexte archéologique.

A quoi servait cet objet ?

La fonction de percuteur découle assez naturellement de la forme de processus cornual, aménagé à sa base en une surface généralement arrondie, limitant le point de contact avec le plan de frappe du nucléus de silex en un point de tangentiel qui concentre toute l’énergie du coup. Présentant un large cassure en biseau entre le tiers inférieur et la moitié supérieur de la cheville osseuse, sa fracture évoque une cassure liée à sa fonction de percuteur, à l’amincissement de l’objet. De même, des fractures affectent l’extrémité distale du percuteur : des coups donnés par erreur avec les côtés du percuteur, ont fait sauter des éclats qui ont entamé l’épaisseur de l’os.

Conclusion

Cet objet est un exemplaire unique dont il n’existe aucun autre équivalent dans le mobilier du Paléolithique supérieur. Il s’ajoute au 6 percuteurs en bois de cervidé reconnus dans le matériel issus des fouilles anciennes de Solutré. Il grossit l’effectif des percuteurs provenant du site, qui concentre presqu’un tiers de la vingtaine des pièces connues. Il souligne donc l’importance de l’activité de taille au Solutréen, alors que sont produites sur places des centaines de feuilles de laurier. L’utilisation de cette cheville osseuse, support original et inédit, démontre l’inventivité des tailleurs du Solutréen pour la taille des roches dures, activité technique qu’ils portent à son plus haut niveau de maîtrise pour le Paléolithique.

Fig 2. Le même objet dessiné par Adrien Arcelin dans Le Mâconnais préhistorique (1870), planche XXVIII