Une brève histoire du temps
De tout temps, les Hommes ont eu besoin de structurer et classifier leur histoire pour la comprendre. La Préhistoire n’échappe pas à la règle et sa chronologie est aujourd’hui le fruit de plusieurs siècles d’études et de réflexions. Découvrez comment le site de Solutré, sous l’œil averti de chercheurs passionnés, a contribué à la définition du cadre temporel de la Préhistoire.
Solutré et la chronologie des temps préhistoriques
Le site de Solutré a joué un rôle important dans l’élaboration de la chronologie de la Préhistoire :
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- dès 1869 en devenant site de référence d’une des périodes de la Préhistoire dans la chronologie de Gabriel de Mortillet (1821-1898),
- en 1907 en permettant la démonstration de l’existence d’un « Aurignacien présolutréen » qui divisait les chercheurs, achevant ainsi la nouvelle chronologie proposée par Henri Breuil (1977-1961).
Une brève histoire du temps
Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, les textes bibliques postulant la création divine du monde servent à établir la chronologie des temps depuis les origines. En 1650, l’évêque irlandais James Ussher (1581-1656) estime l’âge du monde à partir des généalogies bibliques. Selon lui, la création divine du monde ne peut remonter au-delà de l’an 4004 avant Jésus Christ.
Au XVIIIe siècle, le bourguignon Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788), se basant sur le temps de refroidissement de la Terre selon son volume, avance prudemment l’âge de 74 000 ans, alors que le calcul lui suggère au moins 10 millions d’années. A la fin du XIXe siècle, à partir des taux de sédimentation (durée de formation supposée constante des couches de sédiments emprisonnant les fossiles d’êtres vivants disparus), des géologues estiment l’âge de la Terre entre 3 et 3,5 milliards d’années. Finalement cette durée est rapportée à 100 millions d’années seulement.
Au même moment, de savants naturalistes, tels Georges Cuvier (1769 – 1832) et Edouard Lartet (1801-1871), étudient les premiers fossiles d’espèces disparues. Pour expliquer l’absence de ces animaux aujourd’hui, deux hypothèses prévalent : la théorie transformiste, considérant une évolution des êtres vivants dans le temps, et l’hypothèse fixiste, postulant que des catastrophes ont entraîné des disparitions dans le passé. Ces théories s’affrontent pour expliquer l’histoire de la vie sur Terre.
À partir de 1859, les conceptions darwinistes expliquent la formation de nouvelles espèces. Elles sont issues de la variation des caractères à chaque génération et de la sélection des caractères avantageux, pour la survie et la reproduction, aux générations suivantes. L’évolution du vivant trouve enfin ses causes. Parallèlement, des découvertes d’artefacts et de restes humains associés à des faunes éteintes induisent progressivement l’idée de l’existence d’un homme fossile, contemporain d’animaux éteints.
L’homme de Neandertal, premier type humain ancien reconnu, est découvert en 1856 dans la région de Dusseldorf. Parallèlement, les découvertes d’outils anciens par Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), dès 1828, sont enfin reconnues en 1863. Ces deux évènements consacrent définitivement l’existence de l’Homme « antédiluvien », ayant vécu dans les temps géologiques en coexistence avec des animaux éteints ou émigrés depuis. Les adeptes de cette nouvelle science, que l’on appellera que tardivement la Préhistoire (le terme date de 1874), sont confrontés au besoin d’ordonner les découvertes dans la profondeur du temps. Deux systèmes chronologiques voient alors successivement le jour.
Edouard Lartet (1801-1871), fondateur de la paléontologie et l’un des pères de la Préhistoire.La chronologie d’Edouard Lartet
La question de la chronologie a occupé une grande part des réflexions durant les premières décennies de la recherche en préhistoire.
Conçu par Edouard Lartet (1801 – 1871), le premier système chronologique est basé sur les restes des grands mammifères présents auprès des outils de pierre stratifiés dans les gisements préhistoriques. Il distingue ainsi :
- l’âge du Grand Ours,
- l’âge de l’Eléphant et du Rhinocéros,
- l’âge du Renne,
- l’âge de l’Aurochs (fin des temps glaciaires).
Cette chronologie ne permet toutefois pas d’ordonner précisément les objets produits par l’homme à différentes périodes, ni d’interpréter les variations de la faune dues à l’environnement ou aux oscillations du climat.
De Solutré au Solutréen
En 1869 puis 1872, Gabriel de Mortillet (1821-1898) préhistorien et conservateur du nouveau Musée des Antiquités nationales de saint-Germain-Laye, propose un nouveau système chronologique permettant de classer les collections d’objets produits par les hommes préhistoriques. Dans son système, les séries d’objets d’une même période, appelées « industries », sont ordonnées selon les doubles notions de site de référence et de fossile directeur. Les stations préhistoriques où des industries différentes sont reconnues pour la première fois deviennent les sites de référence, ou sites éponymes, de périodes de la Préhistoire. Certains objets typiques des industries identifiées servent de fossiles directeurs, marqueurs diagnostiques de la période qui les a produits. Leur position au sein des couches archéologiques permet de déterminer les âges relatifs des industries, les uns par rapport aux autres.
Au sein des deux grandes périodes définies par Sir John Lubbock (1834-1913) en 1865, Gabriel de Mortillet distingue ainsi :
Pour l’âge de la pierre taillée ou Paléolithique :
- les haches amygdaloïdes de l’époque de Saint-Acheul, dans la Somme, ou Acheuléen,
- les pointes retaillées d’un seul côté de l’époque du Moustier, en Dordogne, ou Moust(i)érien,
- les pointes en forme de feuilles de laurier de l’époque de Solutré, en Saône-et-Loire, ou Solutréen,
- les lames de silex et l’outillage en os de l’époque de la Madeleine (Dordogne) ou Magdalénien.
Pour l’âge de la pierre polie ou Néolithique :
- les haches polies, pointes barbelées ou à pédoncules, et poteries de l’époque de Robenhausen (Suisse) ou Robenhausien.
Cette chronologie est empreinte de la croyance en un progrès linéaire qui aurait amélioré progressivement et irrémédiablement les industries humaines.
Les feuilles de laurier sont des pointes de taille variable, taillées sur leurs deux faces. Elles ont été trouvées en abondance au Crot du Charnier en 1866-1869 par Henry Testot-Ferry et Adrien Arcelin, qui les avaient immédiatement rapprochées des objets identiques découverts dès 1863 à Laugerie-Haute, en Dordogne, par Edouard Lartet et Henry Christy (1810-1865). Gabriel de Mortillet en fait le fossile directeur d’une époque de sa chronologie. Pour éviter toute confusion avec le gisement magdalénien de Laugerie-Basse, il lui préfère Solutré pour nommer l’époque de production de ces pointes servant notamment à la chasse. Le site de Solutré devient alors le site éponyme du Solutréen, une des périodes de la Préhistoire marquant la succession de différentes cultures matérielles, reconnaissables à la composition des « boîtes à outils » d’objets qui les constituent.
La renommée mondiale du site de Solutré s’est ainsi édifiée. Au fil du temps, les fouilles se multiplient sur le site. Ses « feuilles de laurier », tant convoitées par les amateurs, curieux, collectionneurs et chercheurs, alimentent désormais les collections de référence des musées, sociétés savantes, et amateurs.