Aux origines de la culture solutréenne

Solutré est un site éponyme, c’est-à-dire qu’il a donné son nom à une culture originale de la Préhistoire : le Solutréen. Entre 26 000 et 23 000 avant le présent, le Solutréen marque l’apogée des techniques de taille de pierre du Paléolithique, autour du Dernier Maximum Glaciaire (vers 24 000 avant le présent). Véritables œuvres de maîtres tailleurs, les feuilles de laurier solutréennes exigent une grande maîtrise de ces techniques.

une culture originale

Découvert en septembre 1866, le site du Crot du Charnier à Solutré a bénéficié de l’insertion de ses premiers chercheurs aux milieux savants de leur époque. Adrien Arcelin (1838-1904), l’inventeur du site, est un historien archiviste issu de l’École des Chartes. Henry Testot-Ferry (1826-1869) est, quant à lui, un paléontologue et naturaliste chevronné. Ensemble, ils soumettent les vestiges découverts sur le site à l’avis du paléontologue Édouard Lartet (1801-1871). Ce dernier avait conforté les preuves de l’existence de l’homme fossile, coexistant avec des espèces disparues, en 1860 à Aurignac (Haute Garonne) et surtout en 1863-1865 à la Madeleine (Dordogne). Il avait proposé, dès 1861, la première chronologie des temps préhistoriques basée sur les grands mammifères présents parmi les vestiges. Édouard Lartet détermine la faune retrouvée par Adrien Arcelin et Henry Testot-Ferry confirmant l’ancienneté du site au Premier âge du Renne ou à la dernière partie des temps glaciaires.

Parallèlement, Adrien Arcelin et Henry Testot-Ferry contactent d’autres chercheurs en préhistoire : Gabriel de Mortillet (1821-1898) du Musées des Antiquités nationales, nouvellement créé (1867), l’anglais Sir John Lubbock ou des chercheurs régionaux tels qu’Ernest Chantre (1843 – 1924), conservateur du Muséum de Lyon. Ils font également connaître le site à l’occasion de congrès internationaux (Norwich, 1868) et de publications dans les revues savantes : Solutré devient une référence pour toute la communauté scientifique.

En 1869, lorsque Gabriel de Mortillet établit un nouveau système chronologique basé sur l’évolution des artefacts et industries de la Préhistoire à partir de sites de référence, il préfère Solutré à Laugerie-Haute (Dordogne), pourtant découvert plus tôt, pour devenir le site éponyme de « l’époque de Solutré ». Les pointes en silex, appelées feuilles de laurier, découvertes en nombre sur le site, deviennent les marqueurs de cette période, nommée dès 1872 « le Solutréen ».

orfèvres de la pierre 

Les feuilles de laurier sont des pointes foliacées (en forme de feuille), ovalaires à losangiques, souvent symétriques et taillées sur leurs deux faces. Elles apparaissent à la phase moyenne du Solutréen et perdurent dans sa phase récente. Leur fabrication requiert un savoir-faire aguerri et de nombreuses années de pratique de la taille des roches dures. Taillées dans de gros éclats amincis avec des percuteurs en bois végétal dur ou bois de cervidé (percussion organique directe), leur forme et leurs surfaces sont régularisées par une retouche plate, parallèle et couvrante, réalisée souvent par pression avec des pointes mousses en bois de cervidé. Cette retouche solutréenne s’applique également à des outils domestiques, dans une intention peut-être plus esthétique que fonctionnelle. Techniquement surinvestie, la fabrication des outils solutréens est très exigeante.

Cette exigence intervient aussi dans le choix des matières premières par les tailleurs solutréens : du silex homogène de bonne qualité est indispensable pour la fabrication des outils. Ponctuellement les Solutréens ont pratiqué la chauffe préparatoire au silex, afin d’améliorer l’aptitude à la taille du matériau.

Outre la qualité adaptée à la taille, des critères esthétiques ou symboliques prévalent parfois au choix des matières premières, ainsi que le suggèrent quelques feuilles de laurier en cristal de roche (quartz hyalin) dans les séries de Solutré ou d’autres sites solutréens (grotte de Liveyre  en Dordogne, Le Placard en Charente, grottes de Saulges en Mayenne, ou l’abri du Figuier en Ardèche).

Les dimensions des feuilles de laurier indiquent trois types d’usage :

  • les plus petites (de 3 à 5 cm) sont des éléments d’armatures de projectiles légers, peut-être des pointes de flèches,
  • les exemples de taille moyenne (6 à 12 cm) ont le poids requis pour armer des projectiles de plus grandes dimensions : des sagaies, projetées au moyen de propulseurs, 
  • les plus grandes (plus de 14 cm) ont servi de couteaux de chasse ou de boucherie.

Certains sites de taille, proches de gîtes de matière première de bonne qualité, ont eu pour fonction la fabrication de feuilles de laurier de grande taille : Les Maîtreaux en Indre-et-Loire, Pech de la Boissière, la Doline de Creysse en Dordogne. Les très grandes dimensions de certains spécimens, supérieurs à 20 cm, semblent incompatibles avec leur utilisation. L’exemple le plus spectaculaire de ces aberrantes prouesses techniques est une série de 17 feuilles de laurier de taille exceptionnelle découvertes en 1874 à Volgu en Saône-et-Loire. La plus grande atteint 34,2 cm de longueur, elle se trouve au Musée Vivant-Denon de Chalon-sur-Saône. À défaut d’un usage fonctionnel possible (les feuilles casseraient), on confère à ces objets une valeur de signe au sein des communautés solutréennes. La haute qualité technique de ces objets signale l’émergence d’un artisanat spécialisé et une répartition du travail au sein des groupes humains.

Le Solutréen dans l’espace et le temps

Cadre géographique et climatique du Solutréen

L’essor du Solutréen est bref et circonscrit autour du Dernier Maximum Glaciaire, vers 24 000 ans avant le présent. Cette culture ne couvre que quelques millénaires, entre 26 000 et 22 500 ans avant le présent. L’extension des glaciers continentaux et la baisse du niveau des mers sont alors maximales. Les températures moyennes sont inférieures de 10 à 15 degrés aux moyennes saisonnières actuelles. Le climat est très froid et aride. Les paysages steppiques ouverts sont caractérisés par une faune froide : renne, mammouth, rhinocéros, bœufs musqués…

Limité dans l’espace, le Solutréen se développe dans le finistère ouest-européen, contenu par le sillon rhodanien à l’est, du bassin parisien au pourtour méditerranéen, depuis la vallée de l’Ardèche à la côte orientale la péninsule ibérique. À l’ouest, les territoires solutréens rencontrent l’océan Atlantique, depuis le Portugal et les vallées périphériques de la Meseta espagnole, en passant par la Cantabrie et l’ouest aquitain jusqu’en Mayenne. Au-delà de la frontière naturelle du Rhône et de la Saône, les glaciers alpins et jurassiens interdisent les échanges vers l’est où prospèrent d’autres traditions culturelles.

Cadre chronologique

Le Solutréen se découpe en trois grandes phases évolutives, caractérisées par les armes de chasse.

  • Les dernières phases du Gravettien, entre 33 000 et 26 000 avant le présent, voient apparaitre les premiers exemplaires de pointes à faces planes qui deviendront caractéristiques du Solutréen ancien, de 26 000 à 25 000 avant le présent.
  • La phase moyenne, de 25 000 à 23 500 avant le présent, est caractérisée par des feuilles de laurier bifaciales, tandis que la période récente, entre 23 500 et 22 500 avant le présent, voit l’apparition de pointes à cran, retouchées sur une ou deux faces, et de feuilles de saule dans le centre de l’Aquitaine.
  • Un stade récent évolué n’existe que dans la péninsule ibérique, où subsistent des traditions solutréennes tardives et d’autres types : pointes à ailerons, feuilles de laurier à bases concaves.

L’industrie osseuse (sagaies, bâtons percés, lissoirs…) solutréenne est peu abondante et sans originalité. Les premiers crochets de propulseur en bois de renne (Combe-Saunière, Dordogne) et les premières aiguilles à chas d’Europe de l’ouest apparaissent dans l’équipement des solutréens.

Témoins artistiques solutréens

Des objets décorés sont régulièrement présents. Bien que leur décor soit assez fruste, séries d’encoches périphériques ou d’incisions parallèles, parfois disposées par séries rythmiques, animent les surfaces d’outils domestiques ou de fragments osseux indéterminés. Des éléments de parure, en dents ou en coquillages, témoignent de circuits d’approvisionnement depuis les côtes atlantiques et méditerranéennes.
Plusieurs exemplaires témoignent de la production de figurines de pierre à Solutré ou en Périgord (bœuf musqué de Laugerie-Haute). L’art pariétal, peu abondant, compte notamment des blocs pariétaux à décor animalier à Roc-de-Sers en Charente ou au Fourneau-du-Diable en Dordogne. Bien représentées dans les gorges de l’Ardèche (Oulen, le Figuier, Chabot, La Tête-du-Lion), en Mayenne (Mayenne-Sciences, grotte Margot), en Cantabrie (Altamira, Chufin, ), les figurations solutréennes arborent des silhouettes aux ventres rebondis, de petites têtes et des membres courts (style 3 d’André Leroi-Gourhan). Elles annoncent l’art pariétal de Lascaux, dont les dernières datations suggèrent un âge Solutréen ou Badegoulien, 23 000 à 19 000 avant le présent, les liant aux futures traditions artistiques du Magdalénien entre 19 500 et 14 000 avant le présent.

Habitat

L’habitat solutréen est connu aussi bien sous abri rocheux, tel que sur les sites de Roc-de-Sers en Charente, du Fourneau du Diable en Périgord ou de la Salpetrière dans le Gard, éventuellement complété de dallage ou de structures construites, que sous forme de campement de plein air, comme à Montaut, dans les Landes, ou Fressignes en Indre-et-Loire. Les premières fouilles de Solutré (1866-1869), malheureusement imprécises, décrivaient des structures d’habitat circulaires aménagées dans des fosses du sol.

vestiges humains épars

Lacune de la documentation ou résultat de pratiques funéraires ne permettant pas la conservation des corps, aucune sépulture intentionnelle certaine, ni aucun squelette complet ne sont connus pour le Solutréen. Les restes humains épars (dents isolées, mandibules, fragments crâniens et rares éléments post-crâniens, ainsi qu’un unique crâne complet et un tibia au Parpallo en Espagne) ne permettent pas d’envisager les caractéristiques physiques des solutréens, lesquels s’insèrent toutefois parmi les Homo sapiens européens de l’époque glaciaire dont ils ne semblent pas différents.