La Préhistoire retrouvée
Découvert dès 1866, le gisement du Crot du Charnier a fait l’objet de nombreuses campagnes de fouilles depuis le temps des pionniers de l’archéologie jusqu’à nos jours. A deux reprises, les découvertes sur le site ont contribué à clarifier la chronologie des temps préhistoriques. Plongez dans l’histoire de la Préhistoire, nouvelle science de l’Homme apparue dans le dernier tiers du XIXe siècle.
1866 – 1869 : premières recherches
Le 27 septembre 1866, au cours d’une promenade, Adrien Arcelin (1838 – 1904), historien archiviste, accompagné d’Henry Testot-Ferry (1826 – 1869), paléontologue, découvre des silex au pied de la Roche de Solutré , au lieu-dit le Crot ou Clos du Charnier. Les deux chercheurs se lancent alors dans des recherches archéologiques sur le gisement. Ils contactent les plus éminents spécialistes de la question de l’homme fossile en Europe, consignent leurs observations et les publient simultanément en 1868. Leurs travaux concernent trois principales catégories de vestiges :
- les accumulations d’ossements de chevaux,
- les rebus de cuisine,
- les sépultures, dont certaines semblent dater de l’âge du renne.
L’héritage scientifique de Testot-Ferry
Henry Testot-Ferry décède brutalement en novembre 1869, Adrien Arcelin achève et complète alors la rédaction de son dernier ouvrage : Le Mâconnais préhistorique. Publié à titre posthume en 1870, l’ouvrage est la première grande synthèse sur l’archéologie préhistorique de toute une région.
La naissance d’un mythe
Parallèlement, Adrien Arcelin ambitionne de partager ses découvertes à Solutré avec le grand public. En 1870, l’écrivain Louis Figuier (1819-1894) prépare le premier ouvrage de vulgarisation sur la Préhistoire : L’homme primitif (Hachette, 1870).
Contre l’envoi de son dossier sur les recherches de Solutré, Adrien Arcelin obtient le droit d’utiliser les gravures de Figuier. Elles serviront à illustrer le roman qu’il écrit pour un feuilleton dans la Revue du Lyonnais depuis 1870. En 1872, parait le premier roman préhistorique de l’histoire de la littérature : Solutré ou les chasseurs de renne de la France centrale, signé par « Adrien Cranile », anagramme d’Adrien Arcelin.
Pour expliquer l’épaisse couche d’ossements de chevaux recouvrant le gisement, l’auteur imagine les chasseurs préhistoriques faisant chuter des troupeaux de chevaux entiers dans le vide depuis la Roche de Solutré… La puissance visuelle de cette scène dramatique frappe les lecteurs. Elle donne naissance au mythe de la chasse à l’abîme promis à une longue postérité sous le crayon, ou le pinceau, de nombreux illustrateurs de la Préhistoire.
1872-1890 : Le temps des questions
Un nouveau duo scientifique
En août 1873, le congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences se réunit à Solutré pour découvrir le gisement devenu éponyme. Un anneau en bronze trouvé à l’emplacement d’une sépulture, réputée préhistorique, sème alors le trouble parmi les savants. L’affaire est grave, elle pourrait compromettre la rigueur et la crédibilité des travaux. Heureusement une commission d’enquête, réunie par Adrien Arcelin, prouve que cet anneau ne peut pas provenir du squelette fouillé. Le préhistorien décide de s’associer à son ancien concurrent, l’abbé Antoine Ducrost (1833-1889), géologue et bientôt curé de Solutré, pour reprendre des recherches et mieux comprendre le gisement.
Les deux hommes multiplient les tranchées, examinent et comparent la succession des couches pour valider leurs résultats. Leurs coupes stratigraphiques serviront de référence pendant plusieurs décennies. Après celui d’Henry Testot-Ferry, le décès soudain de l’abbé Ducrost en 1889 surprend à nouveau Adrien Arcelin. En 1890, il publie leurs principaux résultats, mettant notamment en évidence l’existence de niveaux anciens sous la couche d’ossements brèchifiés du magma de cheval.
Un site-témoin de la chronologie de la Préhistoire
À l’occasion du congrès préhistorique d’Autun, en août 1907, Fabien Arcelin (1876-1942) reprend les fouilles de son père avec l’abbé Henri Breuil (1877-1961). Une tranchée de 40m de long sur 8m de profondeur est ouverte sous le chemin, dernière zone intacte du site, au grand dam de l’abbé. Ils parviennent à prouver l’existence d’un niveau préhistorique intercalé entre le Solutréen et le Moustérien. Tous les préhistoriens partagent leur thèse malgré les protestations d’Adrien de Mortillet (1854-1931), fils de Gabriel de Mortillet (1821-1898) dont la chronologie est alors définitivement modifiée : l’Aurignacien « présolutréen » est intégré à la chronologie des temps préhistoriques.
1923 – 1928 : La ruée vers l’os
Entre 1923 et 1928, les professeurs Charles Depéret (1854-1929) et Lucien Mayet (1874-1949), de la Faculté des sciences de Lyon, ouvrent de nouvelles fouilles à Solutré. Avec Fabien Arcelin, ils s’engagent à la recherche de restes humains solutréens. 70 sépultures avaient déjà été mises au jour et provoqué des débats sur leur ancienneté. À l’automne 1923, quatre premiers squelettes, appelés « aurignaciens », sont mis au jour sous une couche d’ossements de chevaux.
La couverture médiatique de la découverte de squelettes préhistoriques déclenche la première affluence touristique de masse sur le gisement. Des navettes quotidiennes transportent les touristes depuis Mâcon, des cartes postales photographiques des squelettes en cours de dégagement sont vendues aux touristes. Ce flot de curieux, synonyme de tapage et de manque de rigueur dans les méthodes, fait tomber le site en disgrâce dans l’esprit de nombreux chercheurs.
1968 – 1998 : la réhabilitation scientifique du site
De nouvelles fouilles démarrent entre 1968 et 1976, après le rachat par l’Etat des principales parcelles du gisement. Elles sont dirigées par Jean Combier, chercheur au C.N.R.S, et précisent la séquence des occupations préhistoriques. Modernes, ces fouilles permettent de définir le contexte environnemental au moyen de plusieurs méthodes : études des pollens et des restes de micromammifères, sédimentologie. Elles éclairent le mode de vie des chasseurs préhistoriques et démontrent que le site a été fréquenté durant plus de 25 millénaires, lors d’occupations successives, entrecoupées de longues périodes d’abandon. Il a principalement servi de lieu de chasses spécialisées aux chevaux ou aux rennes lors de leurs migrations saisonnières.
Le mythe de la chasse à l’abîme est démenti : les conditions climatiques froides et humides du Gravettien (autour de -28 000 ans) ont favorisé la conservation d’une couche d’ossements de chevaux prise en brèche, résultat de chasses répétées sur une longue période, sans besoin du massacre simultané de troupeaux entiers. Des datations au carbone 14 précisent l’âge des occupations et démentent l’appartenance à la Préhistoire des nombreuses sépultures découvertes sur le site : elles sont les vestiges d’une nécropole datant des Ve et VIe siècles de notre ère.
Les dernières recherches archéologiques
L’aménagement du Parc archéologique
Dès l’ouverture du musée en 1987, la création d’un Parc archéologique accessible au public sur le gisement est prévue mais non encore réalisée. Jean Combier en 1987-1988, puis une équipe de l’université du Kansas en 1997-1998, complètent les recherches par des décapages et sondages stratigraphiques. Des moulages sont réalisés pour être présentés in situ.
En 2003-2004, des fouilles de l’Institut de recherche archéologique préventive (Inrap), menées par Nelly Connet, permettent d’anticiper les destructions prévues pour l’aménagement du site en parc archéologique et botanique.
La fouille Route de la Roche
En 2015-2016, Jean-Baptiste Lajoux dirige pour l’Inrap une fouille préventive sur le terrain d’une future maison à l’entrée du village de Solutré-Pouilly. La richesse exceptionnelle du gisement nécessite la prolongation du chantier sur 7 mois. L’étude du matériel recueilli, comprenant des centaines d’objets lithiques, de nombreux témoins d’industrie osseuse, des éléments de parure, une zone ocrée ainsi que des restes humains, est toujours en cours aujourd’hui.