Figurines de cervidés en chaille découverts par Henry Testot-Ferry

Le 23 novembre 1867, en creusant des tranchées pour débuter des fouilles dans la zone du Cros du Charnier à Solutré, Henry Testot-Ferry découvre une sculpture en ronde-bosse d’environ 5 cm de long et 3 de large. Elle a été réalisée dans un rognon de chaille, calcaire siliceux, probablement collecté à moins d’un kilomètre de la Roche.

« Le samedi 23 novembre 1867 […] je rejetais à la pelle les matières noirâtres que j’en avais extraites tout en les regardant attentivement, lorsque mes yeux s’arrêtèrent sur un objet assez insolite, qui venait de rouler de ma dernière pelletée. Je le tendis à M. Arcelin, puis à M. Landa, pour avoir leur avis, et à l’inspection ces messieurs jugèrent comme moi que c’était bien la représentation d’un animal quelconque auquel il manquait la tête. »

Fig. 1
Moulage de la première figurine de cervidé acéphale découverte à Solutré le 23 novembre 1867. Moulage de l’Académie de Mâcon en dépôt au Musée de préhistoire de Solutré (D1987.1.5). L’original est conservé au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-Laye (Yvelines).
Fig. 1 bis
Figurine de cervidé acéphale en chaille découverte à Solutré par Henri Testot-Ferry, Gabriel de Mortillet, Le Musée préhistorique, 1881, planche XIX, dessin Adrien de Mortillet.

La sculpture représente un animal (fig. 1 et 1 bis) couché, les pattes repliées sous son corps. La tête est manquante, ce qui empêche une identification sûre. La ligne de dos  s’élève discrètement pour marquer le garrot, au-dessus du défaut de l’épaule et se poursuit jusqu’à la queue relevée. Sur la face ventrale, la cage thoracique est dégagée par deux sillons la séparant des pattes avant repliées, dont l’épaisseur augmente juste avant l’articulation des sabots fourchus, le ventre est creusé entre les deux cuisses repliée sous l’animal et le sexe femelle de l’animal, bien visible, sont autant de détails qui témoignent d’un souci de précision et de naturalisme (fig. 1 ter et 2). La morphologie générale de l’animal suggère peut-être un cerf ou un bouquetin, ou plus vraisemblablement un renne, espèce très abondante parmi les restes de faune des niveaux solutréens. La tête n’a semble-t-il jamais été figurée, bien qu’Henri Testot-Ferry cru reconnaître une brisure qui l’en aurait privé et avait proposé de compléter par le dessin la tête manquante pour conforter son hypothèse d’identification de l’animal comme un renne (fig. 2)

Fig. 1 ter
Numéros 1, 2 et 3 : première figurine de cervidé acéphale en chaille, figurée dans Henri de Ferry, Le Mâconnais préhistorique, Mâcon-Paris, 1870, Planche XXX. Dessin Adrien Arcelin.
Fig. 2 
Dessin publié par Henri de Ferry dans la Revue archéologique, Livraison de mars 1868, t. XVII, planche VII. Hypothèse de restitution de la tête, il semblerait qu’elle n’ait en fait jamais été figurée.

Fait étonnant, la figurine tient en équilibre sur sa longueur, les pattes repliées vers le bas. La même observation peut être faite sur le petit mammouth sans tête, lui  aussi solutréen, et également sculpté dans un rognon de chaille (fig. 3), découvert par Jean Combier en 1973 à une vingtaine de mètre des précédents objets. Ces figurines sont réalisées dans une même matière, selon les mêmes modalités de représentation, et présente les mêmes aptitudes à l’équilibre posées sur leurs appuis naturels. Il est tentant d’y voir l’expression d’une même tradition technique et symbolique de figuration.

Fig. 3
Figurine de mammouth en chaille découverte par Jean Combier en 1973, dans les niveaux solutréens remaniés du secteur L13, entre le Cros du charnier et la Terre Sève.

D’autant que deux autres figurines de cervidés acéphales sont découvertes à Solutré : la première en 1869 (fig. 4 et 4 bis), d’abord par Buland, l’ancien ouvrier d’Henri Testot- Ferry, qui fouille en Terre Sève, en contrebas du Cros du Charnier. Ferry lui rachète la figurine avec une partie des objets associés. Une autre statuette moins complète, au stade d’ébauche (fig. 5), est découverte elle aussi dans cette même parcelle du gisement par l’abbé Antoine Ducrost, géologue et curé de Solutré qui mène également ses propres recherches en Terre Sève. Enfin, entre 1968 et 1976, lors des fouilles menées par Jean Combier, un mammouth (fig. 3) et deux têtes de rennes mêlant gravure et bas-relief (fig. 6 et 7) viennent compléter cette série de sculptures solutréennes en calcaire siliceux.

Fig. 4
Seconde figurine de cervidé acéphale, découverte en 1869 par Buland. Original conservé au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Moulage de l’Académie de Mâcon en dépôt au Musée de Préhistoire de Solutré.
Fig. 4 bis
Seconde figurine de cervidé acéphale en chaille découverte à Solutré par Henri Testot-Ferry dans Gabriel de Mortillet, Le Musée préhistorique, C. Reinwald, Paris, 1881, planche XIX, dessin Adrien de Mortillet.
Fig. 5
Ébauche de figurine de cervidé acéphale découverte en Terre Sève par Antoine Ducrost.
Fig. 6 et 7
Têtes de cervidé sur nodule de calcaire siliceux, niveaux solutréens, Solutré. Fouilles Jean Combier, 1968-1976.
Fig. 6 et 7
Têtes de cervidé sur nodule de calcaire siliceux, niveaux solutréens, Solutré. Fouilles Jean Combier, 1968-1976.

Il n’existe pas d’objets comparables et dans ce matériau sur les sites de la même période. Ces rondes-bosses sont parmi les premières sculptures paléolithiques découvertes, et les premières rondes-bosses en pierre connues pour le Paléolithique. Elles témoignent d’un mode d’expression inédit de la culture solutréenne.

Les originaux de ces sculptures ont été présentés au Musée de préhistoire de Solutré à son ouverture en 1987. Elles sont aujourd’hui conservées au Musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Aujourd’hui des moulages de ces figurines sont exposés à Solutré pour montrer ces témoins des expressions esthétiques et du savoir-faire solutréens pour la figuration en ronde-bosse. Ces œuvres sont les premières figurines de pierre connue de l’art préhistorique, c’est pourquoi elles sont de véritables jalons historiques de la connaissance des manifestations artistiques de la Préhistoire ancienne et furent abondamment figurée dans les ouvrages dédiés à l’étude de la Préhistoire à la fin du 19e siècle (fig. 1 bis, 1 ter, 2 bis, 2 ter et fig. 8).

Fig. 8
Planche XXX de H. de Ferry, Le Mâconnais préhistorique, Mâcon-Paris, 1870. Dessins d’Adrien Arcelin. N° 4a, b et 11 : Seconde figurine et ébauche de cervidés acéphales.

Pour aller plus loin :

De Ferry, H. Note sur une figurine en pierre de l’âge du renne trouvée dans la station de Solutré (Saône-et-Loire). Revue archéologique, Nouvelle série, Vol. 17 (Janvier à juin 1868), pp. 207-212 et planche VII, également disponible sur https://www.jstor.org/stable/41756061

G. de Mortillet. Le Musée préhistorique. Paris, C. reinwald, 1881. En particulier la planche XIX, disponible sur Musée préhistorique

Solutré, Musée de préhistoire. Catalogue d’exposition, Département de Saône-et-Loire, 2016.

J. Combier et A. Montet-White (Dir.), Solutré 1968 – 1998, 2002. Mémoire XXX de la Société préhistorique française, 281 pages. Disponible sur http://www.prehistoire.org/shop_515-29442-0-0/m30pdf-2002-solutre-1968-1998-j.-combier-et-a.-montet-white-dir.html