Solutré-Pouilly, petit village de vignerons de la côte mâconnaise, est dominé par un éperon de calcaire jurassique, la Roche, qui donne au paysage toute son originalité et son pittoresque. Il doit sa célébrité, depuis plus d’un siècle, à l’archéologie préhistorique. Connu à l’égal de Lascaux ou des Eyzies, le site a donné son nom au Solutréen, civilisation du Paléolithique supérieur.

La découverte et les fouilles du site de Solutré

En 1866, au pied de la Roche, au lieu dit le « Crot du Charnier », un jeune chartiste mâconnais, Adrien Arcelin découvre des silex taillés, au cours d’une promenade. Des ossements fossiles étaient déjà connus sur ce lieu et utilisés comme engrais. De même, des fragments de brèche osseuse dure et compacte, servaient à l’édification de murs de clôture des parcelles viticoles. On attribuait alors ces vestiges à des combats féodaux de cavalerie.

Dans un contexte favorable à la jeune science préhistorique (travaux de Boucher de Perthes dans la Somme, découvertes d’Aurignac en 1860, des Eyzies en 1863, de Cro-Magnon en 1868 et création du Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye destiné à exposer les silex antédiluviens), ces indices conduisent Arcelin et son ami géologue Henry de Ferry à entreprendre les premières fouilles à Solutré.

coupe_breuilEn 1907, l’abbé Breuil vient tracer à Solutré une coupe stratigraphique qui révèle sept niveaux archéologiques régulièrement superposés de l’Aurignacien (29 000 ans avant J.C.) au Magdalénien (12 580 ans avant J.C.). Cette fouille permet à l’abbé Breuil de gagner la bataille de l’Aurignacien qui l’opposait depuis longtemps aux tenants d’une antériorité de la civilisation solutréenne sur celle d’Aurignac.

Dans les années 1920, on croit découvrir à Solutré des sépultures préhistoriques dans les niveaux supérieurs du « Crot du Charnier » qui s’avèreront être par la suite des tombes mérovingiennes.

De 1968 à 1978, des fouilles sont entreprises par Jean Combier, Directeur de recherche au C.N.R.S. Les premiers résultats confirment la stratigraphie de l’abbé Breuil. Les techniques actuelles de l’archéologie pratiquées à Solutré permettent la compréhension de la formation géologique du site, de l’environnement naturel des modes de vie des chasseurs du paléolithique qui ont occupé ce haut lieu.

Poursuivies en 1997 et 1998 par des universitaires américains sous la conduite de Jack Hofman et Anta Montet-White, les fouilles à Solutré se prolongent en 2004 avec une opération de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), dirigée par Nelly Connet, dans le cadre de l’aménagement du jardin archéologique et botanique.

Enfin, d’octobre 2015 à avril 2016, une fouille préventive menées par l’INRAP, sous la direction de Jean-Baptiste Lajoux, a permis de mettre en évidence, au cœur du village de Solutré, un site magdalénien de toute première importance.

Solutré et le Solutréen

Le site de Solutré est célèbre pour avoir donné son nom à une culture du Paléolithique supérieur : le Solutréen (de 20 000 à 16 000 ans avant J.C.) caractérisée par ses feuilles de laurier, chef d’œuvre de la taille du silex.

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Feuille de laurier

En 1869, Gabriel de Mortillet, en examinant le matériel lithique recueilli au « Crot du Charnier », conclu à l’existence d’une civilisation originale du Paléolithique Supérieur, à laquelle il donne le nom de Solutréen. L’industrie solutréenne se caractérise par la technique de taille remarquable de pointes de silex qu’une analogie de forme a fait désigner sous le nom de feuilles de laurier.

Ces pointes étaient travaillées sur leurs deux faces en retouches rasantes par enlèvements parallèles très minces et réguliers. A son apogée, la période solutréenne vit le façonnage d’outils plus fins que les précédents, dénommés feuilles de saules, retouchés sur leur seule face supérieure avec les mêmes procédés.

La chasse à Solutré : légende et réalité

Pendant 50 000 ans, le « Crot du Charnier » fut ce que les archéologues appellent un « killing site », un lieu de chasse et d’abattage d’animaux sauvages. Au même endroit, les hommes de quatre grandes cultures du Paléolithique supérieur ont chassé, dépecé et boucané des milliers de chevaux. Leurs ossements constituent quatre couches principales, dans la masse de l’éboulis du pied de la Roche. Un de ces amas s’étend sur plus d’un hectare avec par endroits un mètre d’épaisseur. Le fait est unique en Europe.

L’archéologie moderne a pu mettre en évidence l’existence d’importants troupeaux en migration saisonnière, évitant à la fonte des neiges les bas fonds marécageux de la vallée de Solutré et longeant la Roche pour gagner les pâturages de hauteur, selon un itinéraire immuable. Nos lointains ancêtres s’installaient périodiquement sur ce passage à l’affût des équidés.

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Chasse à l’abime

La légende qui voulait que les chevaux soient précipités par les chasseurs préhistoriques du haut de la Roche est désormais sérieusement démentie par les spécialistes. Néanmoins, la forte attraction générée par ce récit et ses illustrations continue de fasciner et fait perdurer cette légende. Celle-ci remonte en 1872, lorsque A. Arcelin expose dans son roman Les chasseurs de rennes à Solutré, comment les chasseurs de la préhistoire avaient du mettre à profit la configuration du site de la roche de Solutré pour réaliser la fameuse chasse à l’abîme. Les chasseurs auraient rabattu, en les affolant, les chevaux sur l’éperon rocheux, et les auraient ainsi fait culbuter dans le vide.

Outre que l’amoncellement se situe beaucoup trop loin du bord de la falaise, et qu’aucune trace de fracture n’ai été relevé sur les ossements, les données des fouilles récentes réalisées par J. Combier, contredisent également une telle hypothèse. Plus simplement, il faut se représenter les chasseurs préhistoriques rabattant les chevaux le long de la falaise, jusqu’à un endroit se prêtant bien à une embuscade, du fait de la présence de gros blocs d’effondrement des corniches, dont les fouilles ont montré qu’ils émergeaient fortement du sol au moment des grandes chasses préhistoriques, où d’autres chasseurs les attendaient.